L'étoile
Soleil
Crédit : J.
Aboudarham/observatoire de Paris
I.
Introduction
Le Soleil, qui est la
source de la vie sur Terre et qui la rythme depuis son
origine, est certainement l'astre qui a été le plus
observé depuis l'apparition de l'Homme. Il n'empêche que
sa complexité est telle que les scientifiques sont encore
loin de tout comprendre de son comportement. Malgré la
place privilégiée qu'il occupe auprès de nous, le
Soleil n'est, malgré tout, qu'une étoile banale parmi
tant d'autres ; mais la seule que l'on voit de près
et que l'on puisse étudier avec assez de précision.
1. Le
Soleil en chiffres
- Distance Terre-Soleil : environ
150 millions de kilomètres
- Diamètre : environ 1,4 million de kilomètres
(Terre = 12 700 km)
- Masse : environ 2 .1030 kg (Terre =
6 . 1024 kg)
- Masse volumique : 1,41 g/cm3 (eau =
1 g/cm3, Terre = 5,5 g/cm3) La densité de
l'eau est égale à 1
- Puissance rayonnée par le Soleil : 4 . 1023
kW
- Energie solaire reçue par la Terre : 1353 J/m2/s
- Température au centre du Soleil : environ 14
millions de Kelvins (0 K = -273,15 °C) 0 kelvin
(zéro absolu en physique) = -273 °C
- Température de la " surface " du Soleil : environ
5 800 K
- Composition : hydrogène (94 %), hélium (6
%), et des traces d'oxygène, de carbone, d'azote, de
silicium, de néon, de fer et de soufre essentiellement ;
mais tous les atomes sont présents.
2. L'étude
du Soleil
2.1. Historique
La première estimation (fausse) de la distance de la
Terre au Soleil fut faite par Aristarque, au IIe
siècle av. J.C. ; il trouva environ 20 fois la
distance Terre-Lune (en réalité, 390 fois). Mais le
premier résultat valable fut obtenu en 1671 par Jean
Richer et Jean-Dominique Cassini, à l'observatoire de
Paris. Aristarque fut également le premier à estimer le
diamètre solaire trouvant 5 à 10 fois celui de la Terre
(contre environ 100 fois, en réalité).
C'est grâce à Newton, au XVIIe siècle, que
l'on put vraiment estimer la masse du Soleil.
Les taches solaires ont été mises en évidence par
Fabricius, en 1611, Scheiner en 1612 et Galilée en 1613,
ce dernier d'après des observations qu'il aurait effectuées
en 1610, où il avait projeté l'image du Soleil au
travers de sa lunette sur une feuille blanche, comme ses
contemporains.
En 1672, Isaac Newton décomposa la lumière solaire au
travers d'un prisme et obtint pour la première fois le
spectre solaire. Le premier spectre complet de raies
d'absorption du Soleil (signatures des éléments
chimiques qui le composent) fut réalisé en 1814 par
Franhofer, ce qui marque le début réel de
l'astrophysique.
2.2. Les outils
d'observation
A l'origine, les observations du Soleil s'effectuèrent
sans instrument, ou au moyen de lunettes, depuis l'époque
de Galilée. Il s'agit donc de la lumière visible du
Soleil ; mais celui-ci émet un spectre qui s'étend
au delà du visible : rayons gamma (g), rayons
X, ultraviolet (UV) (après l'extrémité violette de
l'arc-en-ciel), infrarouge (au delà du rouge de
l'arc-en-ciel), et ondes radio. Chaque " tranche
" de longueur d'onde nécessite son propre type
d'instruments d'observation plus ou moins complexes. L'atmosphère
de la Terre absorbe cependant une grande partie du
rayonnement solaire, et seules certaines bandes de
longueur d'onde parviennent au sol. Il s'agit, bien sûr
de la lumière visible, jusqu'à une partie des longueurs
d'onde radio. Les outils d'observation du Soleil
depuis le sol dans le domaine radio sont des radiotélescopes.
Ce sont de grandes antennes braquées vers le ciel, dont
l'invention ne date que des années cinquante, comme le
radiohéliographe de Nançay, en Sologne. Pour ce qui est
du domaine visible, deux types d'instruments coexistent
principalement :
- des télescopes solaires avec spectrographe, comme au
Pic du Midi de Bigorre, comme la Tour Solaire de
l'observatoire de Meudon, ou le télescope franco-italien
THEMIS, aux Canaries, permettant de faire des images du
Soleil, ou de décomposer sa lumière pour en obtenir le
spectre
- des coronographes, comme au Pic du Midi de Bigorre, qui,
s'ils fonctionnent sur le principe de la lunette
astronomique, ont la particularité d'occulter le disque
solaire pour dévoiler ainsi la couronne du Soleil dont la
lumière est masquée normalement par la trop forte
luminosité de la surface. Le premier coronographe fut
inventé en 1930 par le français Bernard Lyot.
Quant aux autres longueurs d'ondes non observables depuis
le sol, ce sont des instruments - souvent de type télescope
- embarqués à bord de satellites ou de ballons-sondes
envoyés au dessus de l'atmosphère terrestre qui se
chargent des observations. C'est par exemple le cas du
satellite américano-européen SOHO, chargé d'une
batterie de télescopes et de coronographes observant le
Soleil dans les longueurs d'ondes ultraviolettes ; ou
du satellite japonais YOHKOH qui donne des images du
Soleil en rayons X.
2.3. La modélisation
Le travail de compréhension de la structure du Soleil
passe par la capacité de reproduire les observations
faites, au moyen de lois de la physique. Des représentations
physiques et mathématiques, grâce à de puissants
ordinateurs, permettent de simuler ce qui se passe dans
l'atmosphère du Soleil. La confrontation de ces
simulations et des modèles élaborés avec l'observation
permet de tester la justesse de notre compréhension de
l'astre diurne.
II. Le
Soleil
Le Soleil, comme toute étoile,
est une boule de gaz émettant sa propre lumière. Ce gaz,
très dense au coeur du Soleil, devient très ténu à
mesure que l'on s'en éloigne. On peut cependant séparer
cet astre en couches successives, comme des pelures
d'oignon, dont chacune joue un rôle particulier. Déjà,
deux parties peuvent être isolées : les
couches que l'on peut " voir " (le mot "
voir " étant utilisé dans le sens " avec un télescope,
quelle que soit la longueur d'onde), et celles que l'on ne
peut pas " voir ". Cela permet de définir une
sorte de " surface " arbitraire, et donc un intérieur
et un extérieur.
1. L'intérieur
Bien que le Soleil soit une
boule de gaz sans réelle surface, nous utilisons ce mot
pour désigner la partie du Soleil dont le rayonnement ne
nous parvient pas directement.
1.1. Réactions nucléaires
Le Soleil est une étoile. Cela signifie qu'il émet sa
propre lumière (contrairement à une planète comme la
Terre, qui réfléchit simplement une grande partie de la
lumière solaire). D'où vient ce rayonnement ? La
question s'est longtemps posée. De nombreuses théories
furent proposées ; par exemple la conversion d'énergie
gravitationnelle en énergie lumineuse : le
Soleil se contracterait régulièrement et l'augmentation
d'énergie liée à cette contraction servirait à
entretenir le rayonnement solaire, mais la durée de vie
du Soleil ne pourrait ainsi pas dépasser quelques
dizaines de millions d'années, alors que c'est en
milliards d'années qu'il faut la considérer ; ou
encore un modèle de bombardement par des météorites, l'énergie
d'impact se transformant en énergie lumineuse, mais la
durée de vie du Soleil serait extrêmement courte. C'est
en 1920 qu'Eddington suggéra que l'énergie des étoiles
était d'origine nucléaire. On sait aujourd'hui que c'est
la fusion de l'hydrogène en hélium qui fournit l'énergie
du Soleil : quatre noyaux d'hydrogène
fusionnent pour donner un noyau d'hélium : 4 H1
÷> He4 + énergie
Chaque seconde, 633 millions de tonnes d'hydrogène se
transforment donc en 628 millions de tonnes d'hélium.
C'est-à-dire que chaque seconde, près de 5 millions de
tonnes de matière solaire se transforment en énergie
(d'après l'équivalence masse-énergie : E = mc2)
qui est rayonnée dans l'espace. Cette réaction
s'accompagne entre autre de l'émission de particules
appelées neutrinos, qui sont particulièrement difficiles
à détecter.
1.2. Les couches internes
du Soleil
La région où ont lieu les réactions nucléaires
s'appelle le noyau. On estime qu'il s'étend du centre à
environ 0,25 rayon solaire. Jusqu'à 0,70 rayon
solaire s'étend la zone radiative. La matière y est
relativement opaque, aussi le rayonnement y est-il
constamment absorbé pour être réémis dans une
direction aléatoire. Ces " rebonds " permanents
font que l'énergie met environ 1 million d'années à
traverser cette zone.
La couche la plus externe de l'intérieur solaire,
occupant 0,30 rayon solaire, est appelée zone convective.
La matière, très opaque, provoque une accumulation de l'énergie
provenant de la zone radiative, créant des courants de
convection - semblable aux remous de l'eau qui boue dans
une casserole -, la matière chaude montant vers la
surface, la matière froide retombant. Le rayonnement ne
met ici que deux mois à traverser la zone convective.
2. Les
couches extérieures
Les couches extérieures du
Soleil sont les seules que l'on puisse observer
directement. Le choix de la longueur d'onde d'observation
permet de viser l'une ou l'autre des couches externes
(plus la température croît, plus la longueur d'onde
diminue, du visible aux rayons X). La photosphère et la
chromosphère sont regardées en lumière visible, la zone
de transition en ultraviolet et la couronne en rayons X,
en ondes radio et en visible.
2.1. La photosphère
C'est la partie la plus connue du Soleil, car c'est elle
que l'on voit à l'oeil nu (même s'il ne faut jamais le
faire), ou quand on projette l'image solaire au travers de
jumelles ou d'une lunette. Ce que l'on appelle le disque
solaire, ou la surface du Soleil est donc la photosphère.
Jusqu'au milieu de ce siècle, c'était la principale
partie du Soleil que l'on observait. La matière y est
suffisamment ténue pour permettre au rayonnement de la
traverser. La température moyenne de la surface de cette
couche de quelques centaines de kilomètres d'épaisseur
est de 5 800 K. La densité y chute rapidement vers l'extérieur,
et sa température, après être passée par un minimum
d'environ 4 000 K se met à remonter.
2.2. La chromosphère
La température moyenne y est de l'ordre de 10 000 K,
croissant vers l'extérieur du Soleil. L'épaisseur de
cette couche est de quelques milliers de kilomètres. Son
aspect coloré rougeâtre est dû à l'émission de
l'hydrogène et lui a valu son nom. Comme elle est
beaucoup moins dense que la photosphère, l'émission
provenant de la chromosphère est beaucoup plus faible que
l'émission photosphérique. C'est pour cela qu'en temps
normal, la chromosphère est invisible, la sensibilité de
notre oeil étant saturée par la lumière du disque
solaire. Pourtant, le rayonnement chromosphérique est
aussi intense que celui de la pleine Lune ! Lors des éclipses
de Soleil, on peut observer la chromosphère, quand la
partie la plus lumineuse du disque solaire est cachée.
Des observations à des longueurs d'onde choisies
permettent de l'observer sur le disque, comme c'est le cas
avec les spectrohéliogrammes de l'observatoire de Meudon.
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Spectrohéliogramme
dans la raie Ha montrant la chromosphère
Crédit : observatoire de Meudon
2.3. La zone de transition
Cette zone est très peu épaisse, mais très compliquée
à étudier car la température y passe de quelques
dizaines de milliers de degrés à plusieurs millions de
degrés en quelques centaines de kilomètres.
2.4. La couronne
La couronne s'étend comme un halo ténu entourant le
Soleil ; elle est visible lors des éclipses ou grâce
aux instruments spatiaux. La température y atteint
plusieurs millions de degrés. Elle n'a pas de limite précise
et se mélange au milieu interplanétaire. Un flux de matière
s'en échappe en permanence, balayant tout le système
solaire.
3. L'activité
solaire
Bien qu'il semble nous présenter
toujours le même aspect, on se rend compte, en
l'observant attentivement, que le Soleil est changeant
: modification d'aspect de sa " surface
", brusques éjections de matière dans l'espace, phénomènes
explosifs, ...
3.1. Les taches solaires
Les taches solaires, découvertes par Galilée, entraînées
par la rotation du Soleil, apparaissent comme des régions
sombres car elles sont plus froides que la matière qui
les entoure - mais tout de même à environ 4 000 degrés.
Ce sont des régions où le champ magnétique solaire est
très intense, d'où l'intérêt de leur étude qui nous
renseigne sur celui-ci et sur l'activité solaire qui y
est liée. Leur taille peut atteindre quelques dizaines de
milliers de kilomètres de diamètre pour les plus
grosses.
3.2. Les éruptions
solaires
Ce sont de brusques libérations d'une quantité
importante d'énergie, accompagnées de l'éjection de
particules accélérées dans l'espace. L'énergie ainsi
libérée dans une éruption couvrant une petite partie de
la surface solaire peut approcher l'énergie libérée par
l'ensemble du disque.
3.3. Les protubérances
Les protubérances sont des phénomènes impressionnant,
que l'on peut parfois observer lors des éclipses de
Soleil. On les voit sous l'aspect de grands tubes formant
une immense arche sur le bord du Soleil. Les dimensions de
ces boucles peuvent être énormes, au point qu'un objet
de la dimension de la Terre pourrait sans problème passer
sous les plus grandes. On pense qu'il s'agit du sommet d'énormes
boucles de champ magnétique dans lesquelle la matière de
la basse atmosphère solaire se trouve piégée. Comme
cette matière est plus froide, lorsqu'une protubérance
se trouve au dessus du disque solaire, on l'y voit sous la
forme d'un filament sombre.
3.4. Le cycle d'activité
solaire
La signature la plus visible de l'activité solaire est le
nombre de taches à sa surface. En période de minimum
d'activité, il peut n'y avoir aucune tache, alors qu'en période
de maximum, il peut y en avoir plusieurs centaines. La durée
de ce cycle d'activité est de 11 ans durant lesquels le
Soleil passe donc successivement par un maximum et un
minimum.
III.
Naissance, évolution et mort du Soleil
La contraction d'une énorme
masse de gaz sur elle-même, provoquant l'apparition des réactions
de fusion nucléaire en son sein, a donné naissance au
Soleil, voici 4,5 milliards d'années. La quantité de
matière qu'il " brûle " chaque seconde permet
d'estimer la durée de sa vie à environ 10 milliards
d'années. Au bout de ce temps, après une brève phase de
contraction, il entamera un nouveau processus de fusion
nucléaire avec des éléments chimiques plus lourds, se
gonflant en même temps, jusqu'à absorber l'orbite de la
Terre, tout en éjectant ses couches les plus externes,
puis, n'ayant plus de combustible nucléaire utilisable,
il se contractera à nouveau pour devenir un objet inerte
et dense qui se refroidira peu à peu.
IV.
Relations Soleil-Terre
Outre la chaleur qu'il nous
fournit, le cycle jour-nuit dû à la rotation de la Terre
et les saisons causées par l'inclinaison de la Terre par
rapport à l'axe de son orbite, le Soleil influence
d'autres façons l'environnement terrestre. Lors de ses
moments de plus forte activité, il envoie dans l'espace
des bouffées de particules de grande énergie à grande
vitesse, qui viennent heurter la haute atmosphère de la
Terre, organisée suivant le champ magnétique terrestre,
qui, heureusement, nous protège. Une conséquence visible
de cela est le phénomène connu sous le nom d'aurore
polaire ; mais d'autres effets se font ressentir, mis
en évidence depuis quelques dizaines d'années : perturbation
des communications radio, destruction de l'électronique
de bord de certains satellites ; sans parler du
danger encouru par les cosmonautes dans l'espace à ce
moment-là.
Enfin, à l'heure actuelle,
des chercheurs tentent de mettre en évidence une relation
entre les périodes où le maximum d'activité du Soleil
est le plus faible, et des mini-glaciations qui ont eu
lieu sur Terre.
Éclipses naturelles, éclipses
artificielles : L'observation de la couronne
solaire
I. Les
apports de l'observation de la couronne solaire
Depuis que l'on a réussi
à observer la couronne solaire, la question qui se posait
était de savoir d'où provenait le phénomène alors
observé, du Soleil ou bien de la Lune. Ce n'est que vers
le milieu du XIXème siècle que l'on trancha
vraiment en faveur d'un phénomène lié au Soleil. Il
n'en demeura pas moins que, pendant longtemps, l'étude de
la couronne solaire allait de paire avec la possibilité
d'observer une éclipse totale de Soleil, phénomène
relativement rare, du moins dans les régions facilement
accessibles aux scientifiques. Les difficultés de déplacement
de l'époque, l'insécurité des contrées où se rendre,
et, bien sûr, l'incertitude quant à la couverture
nuageuse du lieu de l'observation ont rendu très aléatoires
les tentatives d'étude de cette couronne. Il fallut
attendre 1930 et l'invention, par le français Bernard
Lyot, de l'Observatoire de Paris, du coronographe, pour
que l'étude scientifique de la couronne solaire fasse réellement
un bond en avant. Il était alors possible de surveiller
la couche externe du Soleil de façon quasi-continue sans
attendre une éclipse totale. Il faut ensuite attendre la
seconde moitié du XXème siècle pour qu'une
nouvelle étape d'importance dans l'étude de la couronne
solaire se mette en place : il s'agit d'une part
des débuts de la radioastronomie, juste après guerre, et
d'autre part, une quinzaine d'années plus tard, des débuts
de l'astronautique, même si les premières expériences
en ballon sont antérieures. En effet, si le coronographe
fut un moyen de limiter le surplus de luminosité solaire
dans les longueurs d'onde visibles pour pouvoir observer
la couronne, les ondes radio, ultraviolettes et X
proviennent, quant à elles, de la couronne seulement, et
il n'y a donc pas de risque d'éblouissement. Mais les
rayonnements UV et X sont arrêtés par l'atmosphère
terrestre, et il fallut donc être en mesure de se déplacer
au dessus de celle-ci pour pouvoir pleinement bénéficier
de ces ondes. Cependant, les coronographes à l'heure
actuelle continuent à être basés sur le principe mis au
point par Lyot.
C'est donc vers le milieu
du XIXème siècle, que débuta vraiment l'étude
de la physique de la couronne solaire. L'idée d'appliquer
la spectrométrie à l'observation de la couronne solaire
revient au français Jules Janssen, de l'Observatoire de
Paris, lui permettant en 1868 de mettre en évidence un élément
inconnu qu'il baptisa l'hélium (de Hélios, dieu du
Soleil), qui ne sera identifié sur Terre qu'à la fin de
ce siècle. Lors des éclipses suivantes, d'autres raies
non identifiées furent trouvées dans les spectres
effectués, dont un, appelé " coronium " qui se
révéla être - de nombreuses années plus tard - du fer
porté à une température de quelques millions de degrés.
On n'imaginait pas, à l'époque, que la couronne solaire
put être portée à de telles températures. Même si
l'interprétation physique des observations effectuées à
cette époque-là ne se fit que beaucoup plus tard,
l'apport de ces nouvelles méthodes fut considérable,
tant pour l'étude de la couronne que pour celle des
protubérances, énormes arches de matière froide piégée
par le champ magnétique solaire s'élevant dans la
couronne. Les protubérances peuvent aussi être observées
sur le disque du Soleil, sous la forme de filaments
sombres, absorbant le rayonnement provenant des couches
plus profondes de l'atmosphère solaire. La grande étape
suivante de la physique de la couronne solaire fut donc
l'invention du coronographe en 1930, qui permit de
s'affranchir des éclipses pour observer la couronne du
Soleil. Cependant, seules les éclipses " réelles
" de Soleil permettaient d'observer les rayonnements
faibles provenant de la haute couronne. En 1944,
l'astrophysicien Joseph Shklovsky démontra théoriquement
que la région de transition entre la haute chromosphère
(à une température de l'ordre d'une dizaine de milliers
de degrés) et la couronne (à plus d'un million de degrés)
ne pouvait qu'être très mince. De nombreuses
observations furent nécessaires pour confirmer cette déduction.
Lors des éclipses solaires de 1952 et 1970, les américains,
puis les japonais, montrèrent que la couronne descendait
jusqu'à quelques milliers de kilomètres seulement de la
" surface " du Soleil. L'éclipse de 1991 permit
de mettre en évidence certains comportements à grande échelle
de la couronne, particulièrement l'origine de certains
grands jets de matière s'élançant vers l'espace, que
les astronomes espèrent confirmer grâce à des campagnes
internationales d'observation lors de l'éclipse du 11 août
1999.
Parallèlement, la sonde
Ulysse étudie le comportement des particules émises par
le Soleil, le satellite YOHKOH observe le Soleil en rayons
X, et le satellite SOHO transporte deux coronographes ;
tous contribuent à la fourniture des informations nécessaires
à l'élaboration des théories qui permettront de
comprendre la couronne solaire.
D'une façon plus générale,
les observations de la couronne ont apporté la possibilité
d'étudier le plasma (matière ionisée et champ magnétique)
et ses propriétés. La couronne, comme le Soleil lui-même,
est un laboratoire de macrophysique comme il n'est pas
possible d'en construire sur Terre.
Deux grandes questions
demeurent cependant concernant la couronne solaire : Tout
d'abord quel est le mécanisme qui la chauffe à plusieurs
millions de degrés (alors que l'on comprend logiquement
que sa température décroisse du centre du Soleil vers sa
périphérie). Deuxièmement, où se situe l'origine du
vent solaire, quels processus physiques provoquent l'accélération
à des vitesses parfois très différentes des particules
projetées du Soleil ? On peut raisonnablement
espérer que le traitement des nombreuses observations du
satellite SOHO permettra dans les proches décennies de répondre
à ces interrogations.
II. Les méthodes
d'observation de la couronne
1.
L'observation au sol
1.1. Lors d'une éclipse de
Soleil
Lors d'une éclipse totale de Soleil, n'importe quel télescope
ou lunette, ou jumelles - munis des filtres appropriés !
- permet de détailler la couronne solaire. Cette
simplicité (qui n'est en réalité qu'apparente) de
l'appareillage nécessaire facilite grandement le travail,
tant des astronomes professionnels que des amateurs ;
la difficulté résidant cependant dans le lieu
d'observation : les éclipses ont le mauvais goût
de se produire souvent dans des lieux d'accès peu aisé
(ne serait-ce qu'au dessus des océans). Autres " défauts
" des éclipses de Soleil : elles ne durent
que peu de temps (le maximum de durée d'une éclipse à
l'équateur est inférieur à 8 minutes !) et
l'observateur est tributaire de l'état du ciel au moment
de la phase de totalité : la moindre nuée à
ce moment réduit à néant tous les efforts de, souvent,
plusieurs mois de préparation.
Cependant, si toutes
les conditions favorables sont réunies, l'observation
d'une éclipse naturelle de Soleil présente de grands
avantages. Tout d'abord, le ciel s'obscurcit considérablement
durant la totalité, ce qui réduit énormément les problèmes
de diffusion de la luminosité du ciel dans l'instrument.
D'autre part, le diamètre apparent de la Lune, très
voisin de celui du Soleil, masque précisément le disque
solaire, permettant ainsi l'observation de la très basse
couronne, chose impossible si l'on utilise un système de
cache, comme c'est le cas dans les coronographes. Cet accès
à la base de la couronne permet de faire la liaison avec
les couches plus basses de l'atmosphère solaire.
1.2. Avec un coronographe
Le principe du coronographe consiste - de façon simplifiée
- à placer un disque occulteur, d'un diamètre proche du
diamètre apparent du Soleil, qui masque le disque solaire
d'où provient la plus grande partie de la luminosité
solaire, permettant ainsi de ne plus être ébloui et de
pouvoir faire ressortir les régions faiblement lumineuses
(la couronne est environ un million de fois moins
lumineuse que le disque solaire). Cette invention révolutionnaire
permit de s'affranchir de la contrainte de l'attente d'une
éclipse totale dans une zone accessible à l'observation
pour avancer dans l'étude de la couronne. Cependant, la nécessité
de réduire au maximum la lumière diffusée provenant de
la surface impose d'installer un disque occulteur légèrement
plus grand que le diamètre apparent du Soleil. On ne peut
donc plus observer la région la plus basse de la
couronne. Or la compréhension de l'interface entre la
basse atmosphère et la couronne est fondamentale pour
comprendre comment se forme cette dernière. Malgré
cet inconvénient, la coronographie est un outil
fondamental pour l'étude des phénomènes de la moyenne
et de la haute couronne, ainsi que pour le comportement à
grande échelle de celle-ci.
1.3. En radio
L'observation en ondes radio de la couronne fournit, quant
à elle, des informations sur le comportement des
particules qui composent la couronne. En effet, à des
températures de quelques millions de degrés, beaucoup
d'atomes (dont bien sûr l'hydrogène, qui est le
constituant essentiel de la matière solaire) ont perdu
tous leurs électrons. Aussi, des courants électriques,
induits par le champ magnétique, génèrent-ils des
comportements spéciaux des électrons, qui se traduisent
par l'émission d'ondes radio. Ces ondes, généralement
dans des longueurs d'onde comprises entre quelques centimètres
et quelques dizaines de mètres, permettent d'observer la
signature du mouvement des électrons de la couronne ;
chaque longueur d'onde étant émise par une altitude différente
de la couronne solaire, ce qui permet d'obtenir une sorte
d'information en relief sur la haute atmosphère solaire.
Cependant, la résolution spatiale ne permet pas d'avoir
des renseignements sur le comportement à petite échelle
de la couronne.
2. Depuis
l'espace
2.1. Ballons et fusées
Les ballons et les fusées sont des moyens pour sortir de
la partie de l'atmosphère qui absorbe le plus les
rayonnements ultraviolets ou X. On peut y installer des
coronographes ou des spectrographes de conception plus
classique. Cependant, la difficulté de stabiliser un
ballon et la brièveté d'un vol fusée en font des méthodes
relativement marginales, bien qu'utiles pour l'observation
de la couronne.
2.2. Sondes et satellites
artificiels
Les satellites peuvent emporter des instrumentations
complexes pour des durées de plusieurs années, ce qui en
fait des atouts considérables pour ce genre d'études.
Par exemple des spectrographes pour rayonnement X, comme
le satellite japonais YOHKOH. La bonne stabilité des
satellites offre des possibilités inégalées qui doivent
cependant être tempérées par les difficultés de
manipuler des instruments à distance et de traiter des
observations prises par des appareils dont on ne peut plus
contrôler la précision de façon simple. La sonde
Ulysses qui transporte des instruments de type radio à
son bord, a survolé à grande distance les pôles du
Soleil, et transmis des informations sur une région qui
nous est très difficilement accessible depuis la Terre.
2.3. SOHO
Le satellite SOHO, quant à lui, est stationnaire par
rapport au Soleil. Il a emporté douze instruments jusqu'à
1,5 million de kilomètres de la Terre (seulement le centième
de la distance Soleil-Terre), au point de Lagrange L1
(lieu où les attractions gravitationnelles de la Terre et
du Soleil se compensent mutuellement), beaucoup plus loin
que la Lune, et reste en permanence, 24 h sur 24, pointé
sur le Soleil. Parmi les instruments embarqués se
trouvent deux coronographes : LASCO, formé
d'une batterie de trois coronographes en " cascade
" montrant l'ensemble de la couronne, de 1,1 rayon
solaire à 30 rayons solaires, observe diverses longueurs
d'ondes dans le domaine visible ; et UVCS, observant
des portions de couronne depuis la base de celle-ci jusqu'à
une distance de 12 rayons solaires, dans les longueurs
d'ondes ultraviolettes et visibles. Cependant les
techniques d'observation depuis l'espace ont toutes pour défaut
leur durée de vie limitée.
III. Conclusions
La couronne n'est
pas uniformément lumineuse : sa luminosité décroît
du bord du Soleil vers l'extérieur. Aussi est-il
difficile d'obtenir simultanément de bonnes images à la
fois de la basse et de la haute couronne ; soit la
basse couronne est surexposée, soit la haute couronne est
sous-exposée. Pour pallier ce problème, on peut utiliser
des filtres spéciaux, plus absorbants vers la couronne
interne que vers l'extérieur.
Comme on l'a vu dans le chapitre précédent, chaque
technique d'observation possède ses propres avantages et
ses propres inconvénients, aucune n'est suffisante pour
tout étudier ; en effet, les observations à différentes
longueurs d'ondes sont complémentaires :
certaines sont la signature de régions à différentes
températures, donc différentes zones de la couronne,
d'autres renseignent sur les
déplacements de particules dans la couronne et sur le
champ magnétique. Toutes nous renseignent peu à peu sur
les éléments pouvant servir à reconstituer le puzzle
compliqué que forme la couronne solaire, sur le
comportement du vent solaire et sur la raison pour
laquelle la température de la couronne est si élevée.
Pourtant, par
delà l'intérêt astrophysique de l'observation d'une éclipse
" naturelle " de Soleil, la beauté et l'étrangeté
d'un tel événement constituent une expérience
inoubliable dans la vie d'un individu.
Crédit : J. Aboudarham/observatoire de Paris |